Autour du testament 2/7

Autour du testament

St-Pierre, cruellement agressé par un cancer qui tantôt serre ou desserre ses fortes mâchoires, réalise tout à coup que la lutte est perdue.

Quoi de plus pathétique, de sa voix éraillée à souffle court, que son cri de désespoir Tout au long de cette cassette, entre deux bouffées d'air sous masque, il nous appelle à la réflexion.

Il va nous quitter oui, mais non sans avoir dit ce qui l'assaille au dedans. Ce n'est pas nouveau pour lui de pérorer, de livrer le fruit de ses réflexions. Autrefois, s'il y avait auditoire, il le faisait dans ses longs monologues qui faisaient circonvolutions autour de son nombril; il hissait facilement l'étendard du narcissisme.

Mais cette fois, c'est plus sérieux, il a conscience de livrer un dernier message. À cinquante-huit ans, c'est bien jeune pour mourir, et... il y a tant à faire. Ce ne sera plus à son cercle d'amis qu'il parlera. Il ne visera pas quelqu'un en particulier, comme il le faisait, enutilisant adroitement le sarcasme et l'ironie jusqu'à la provocation. Il ne dira plus:"... moi, je ne me prostitue pas. Je préfère rester dans l'ombre, MOI, je vis dans la misère plutôt que de mettre du beau petit rose et du beau petit bleu pour faire plaisir aux acheteurs."

D'un seul coup d'oeil, il a fait le tour de ses oeuvres et voit bien qu'il est resté fidèle à lui-même. C'est donc en toute fierté qu'il s'adressera à tout le monde pour y découvrir d'autres appuis. Il dira à l'univers que, faire de la peinture, n'a pas été une façon de décrocher d'avec la réalité; il vient plutôt s'expliquer, justifier son passé, élaborer sa logique.

Il vient nous parler simplement. Ce n'est pas pour un long exercice de haute littérature qu'il prend le loisir de communiquer par la parole. Il s'exprime sous une forme très personnelle de poésie, dans laquelle il cherche à nous faire passer des petits messages. Tous les sentiments humains qui ont mijotés en lui, toutes les idées qu'il a accrochées ici et là y passent. Par moment, son récit revêt des airs d'ésotérisme à côté des vérités toutes crues qui vous arrivent comme ça, comme arrive le vent et s'arrête la pluie. Il faut fournir un effort personnel d'analyse du texte et tenter de l'interpréter le plus honnêtement possible. C'est un effort louable de sa part de nous avoir immortalisé sa pensée, malgré tous les handicaps physiques qui l'affligeaient.

L'ayant fréquenté régulièrement une quinzaine d'années, j'ai tenté de cerner sa pensée. J'ai au moins retenu un message: ne garder que l'essentiel. Aujourd'hui, sous la lumière de son texte et de sa toile, je chercherai à mieux vous faire connaître St-Pierre sous le couvert des résonnances du passé.

Bien sûr, il ne nous parlera pas de ses étranges nuages qui ornent plusieurs de ses peintures. Ces nuages qui sont la résultante des mots grossiers qu'il écrivait en tête de ses premières oeuvres se veulent des insultes à des acheteurs hypothétiques indifférents au fruit de son travail. Non, il ne cherche pas à justifier les détails, il s'attache à la philosophie de pensée qui a présidé à l'élaboration de sa vie.

Ce qu'il raconte dans cette cassette que j'appellerais son testament oral, c'est plutôt l'explication du geste, des moyens additionnels d'explorer son art, et une aide précieuse à la compréhension d'une vie qu'il juge bien pauvre et insuffisante pour compléter son travail. Ses paroles font surgir une émotion profonde. Le tout est sublime et pathétique.

Généralement, le geste suit la parole, mais ici j'ai bien des doutes: qui fut fait le premier ? Le gestuel de la toile ou l'énoncé des mots ? Je n'ai pas été étonné de lire tout au long de cette toile de onze pieds de longueur les nombreuses inscriptions entremêlées dans le paysage, mais j'ai été étonné de l'ampleur et de la force de son résumé. Cette œuvre m'apparaît une véritable performance. C'est à se demander où il a pu puiser autant d'énergie et de volonté, lui qui n'était qu'une petite ossature recouverte d'une mince couverture. Seule la conviction peut mener à bien la réalisation de ses intentions.

Cette oeuvre picturale me fait voir un St-Pierre penché sur son passé et qui fait surgir tous les personnages qu'il a créés. Ce sont tous des lui-même qui viennent se présenter à nous dans leur plus fière allure, drapés majestueusement comme Georges aimait le faire pour sa personne, à l'occasion. Il est bien orgueilleux et se sent fort valorisé de nous les présenter.

Il semble alors nous dire: " Me voici multiplié par mes oeuvres, et vous, grands personnages qui êtes mes oeuvres, pavanez-vous, faites les beaux, faites la roue, fréquentez le monde sans courber l'échine, jouez aux contraintes de la société, usez le temps à toutes ces exquises folies qui ont gavé mon existence, rêvez, faites gorges chaudes de toutes contrariétés, enroulez-vous dans le drapeau de la liberté. SOUVENEZ-VOUS CEPENDANT, QUE VOUS SEREZ TOUJOURS DES OMBRES DE VOUS-MÊMES PARCE QUE VOUS ÊTES MOI. Vous êtes le reflet de ce qu'il y a de plus important: le MOI. "

Georges est très conscient que toute existence artistique est reliée à ce qui se passe au dedans. S'il n'y a aucune intériorité, comment voulez-vous qu'il se produise quelque chose à l'extérieur.

La partie visible n'est que la manifestation de la partie cachée. L'imitation n'est pas création. Georges nous le redit et le répète sur tous les tons: "Perfectionnons notre JE, rendons-le puissant, dégageons-le des broussailles et des contraintes de la matière, libérons-nous des tentacules et obligations sociales, ne nous enlisons point dans le confort."

Puisons dans I'oeuvre scripturale ainsi que dans 1'oeuvre picturale de Georges et nous rencontrerons l'universalité. Ses personnages chantent des comportements humains qui ne sont pas étrangers à notre vie de tous les jours. Par ses légendes et ses démons (a) il a fait incursion dans l'intellect par l'aspect religieux que cela représente. Il était de son temps dans ses us et coutumes qu'il a réalisés. L'Histoire ne peut pas passer à côté de Georges St-Pierre. Il fut non seulement un facteur important dans la conservation de notre culture québécoise, mais aussi un peintre dont l'originalité est indéniable, dont le dessin est génial, dont la composition est surprenante et dont la couleur est toujours juste dans l'harmonie de sa facture.

Il faut toujours revenir à sa procédure. Comme il se sent rejeté de la société, il veut se justifier. Ce Lui dont il parle, il le veut à la hauteur de l'idéal qu'il possède et il le veut prêt pour l'essentiel: LA CRÉATION.